Depuis l’appel au confinement, certaines personnes ont des comportements qui vont à l’encontre des mesures légales ou du bon sens pour la vie en société : sorties sans raison apparente ; rayons de supermarchés vides ; discours parfois inquiétants… Comment expliquer ces attitudes ? A la lumière de la psychologie scientifique, cet article tente de décrypter les mécanismes du cerveau humain en jeu en cette période de crise sanitaire.
Le mardi 17 mars 2020, le Président de la République appelait les français à limiter leurs déplacements. L’objectif ? Limiter les interactions sociales, pour protéger l’ensemble de la population face à la propagation du Covid-19.
Pourtant, de nombreuses images relayées par les médias montrent des regroupements de personnes dans les parcs, les rues, aux terrasses de café… Comment alors expliquer que tant de personnes continuent à sortir dans un contexte de pandémie ?
Une mauvaise perception de la réalité
Au départ, certain semblent avoir perçu le virus comme un risque individuel et non collectif, de type : « il s’agit de ma santé, je ne risque pas grand-chose » ; « Je me sens bien, je ne suis pas malade, je ne suis donc pas un danger pour les autres ». La méconnaissance des modes de transmission du virus a pu jouer un rôle dans ces comportements.
Puis, la population a été informée de manière plus spécifique sur les modes de propagation du virus. Ici s’est opérée une prise de conscience collective sur la dangerosité du virus, à la fois pour soi et pour les autres. Chacun a pu s’approprier les gestes barrières et instaurer une distanciation sociale pour limiter les risques de propagation.
Intérêt individuel VS Intérêt collectif ?
L’interdiction de sortir de chez soi impose de renoncer à ses activités quotidiennes, d’être coupé de ses proches, voire de ne plus travailler. Pour certain cependant, l’intérêt individuel prime sur les mesures de sécurité sanitaire. Pour d’autres, il s’agit d’un intérêt collectif à rester confiner : ne pas sortir assure la santé des autres, en plus cela pourrait réduire la période de confinement.
Les travaux en psychologie social montrent qu’au-delà de l’intérêt individuel ou collectif, respecter les règles relèverait davantage d’un bien public. Respecter l’environnement relève par exemple du bien public car au-delà des intérêts individuels ou collectifs, il s’agit de la planète, donc de l’humanité toute entière. Nous avons tous intérêts à respecter la planète (par exemple en réduisant notre empreinte carbone). Mais dans le même temps, nous avons tous un intérêt individuel à laisser l’effort aux autres (par exemple, en prenant notre voiture pour un court trajet en espérant que les autres ne le fassent pas). C’est ce que l’on appelle le phénomène du passager clandestin. Chaque individu espère profiter de la contribution de ses partenaires sans avoir à contribuer lui-même. Toutefois, si chacun opère avec ce type de raisonnement et anticipe que les autres le feront, l’émergence de la coopération est peu probable.
Les sciences en économie comportementales pour expliquer des comportements
D’après l’article scientifique publié dans Cerveau&Psycho, les travaux en psychologie comportementale montrent qu’il existe 3 types d’individus face à des situations de biens publics :
Les contributeurs inconditionnels : ils contribuent au bien public quelle que soit la situation. Ce sont ceux qui se sont confinés dès le discours du Président de la République.
Les contributeurs conditionnels : ils contribuent davantage si les autres contribuent davantage. Ce sont ceux qui respecteront d’autant mieux les mesures de confinement si tout le monde joue le jeu.
Les passagers clandestins : ils pensent uniquement à leurs intérêts. Ce sont ceux sortis en masse, conscients des risques qu’ils imposent aux plus faibles.
Le gouvernement a durci les sanctions de non-respect des règles du confinement : augmentation du montant des verbalisations, peine de prison pouvant aller jusqu’à 6 mois… Pourtant, chaque jour en France plusieurs personnes continuent d’être interpellées par les forces de l’ordre. Les travaux scientifiques montrent que si on impose des mesures fortes comme le confinement, de petites sanctions sont peu efficaces.
De plus, il est démontré que les sanctions sociales peuvent jouer un rôle important dans le confinement : réprimander ou désapprouver socialement un comportement peut aider à maintenir les mesures.
Un cerveau qui empêche de percevoir la gravité de la situation
Le cerveau humain est plein de ressources. Pourtant, dans certains cas, ce dernier peut nous induire en erreur. C’est ce que démontre notamment les travaux en psychologie sociale sur les biais cognitifs.
Selon la définition donnée par Psychomédia, un biais cognitif est un raccourci de pensée qui « dévie de la pensée logique ou rationnelle et qui a tendance à être systématiquement utilisé dans certaines situations ». En somme, dans certaines situations, les biais cognitifs peuvent nous empêcher de porter un jugement objectif et rationnel.
Les biais cognitifs sont nombreux puisqu’on en décompterait près de 200 ! Dans cette liste considérable, deux biais cognitifs semblent particulièrement intéressants à souligner en cette période confinement : le biais de normalité et le biais de conformisme.
Le biais de normalité
Toujours selon Psychomédia, le biais de normalité est « une tendance à croire que les choses fonctionneront à l'avenir comme elles ont normalement fonctionné dans le passé et donc à sous-estimer à la fois la probabilité d'un événement exceptionnel tel qu'une catastrophe et ses effets possibles ».
Au regard des évènements actuels littéralement extra-ordinaires, le biais de normalité a pu contribuer au fait que la population de ne se prépare pas correctement à la situation pandémique. En effet, comment se représenter du jour au lendemain la propagation d’un virus parfois mortel, une mise à l’arrêt quasi-totale de la société et une obligation de rester confiner chez soi ? Ce type de scénario catastrophe apparait comme surréaliste. Le cerveau peut donc se laisser séduire par l’idée que la situation n’est sans doute pas si grave que cela : minimiser les conséquences de l’évènement permet de se rassurer face à une information anxiogène et une modification trop rapide de la réalité. Et cela semble d’autant plus vrai sous l’effet du renforcement du biais de conformisme.
Le biais de conformisme
Le biais de conformisme est la « tendance à penser et agir comme les autres le font ». Plusieurs mois avant la propagation du virus en France, les médias chinois ou encore italiens relayaient déjà les conséquences du virus et les mesures prises par les gouvernements respectifs. Malgré cela, une grande majorité de français ont continué de sortir, se faire la bise et pratiquer leurs activités quotidiennes : la pensée commune semblait s’établir sous la forme suivante : « puisque personne ne semble trop s’alarmer, le risque ne doit pas être trop important. De plus, les pays touchés par le Covid-19 ont sûrement déjà pris les mesures nécessaires, tout est sous contrôle ». Or, lorsque le Président de la République s’est adressé à la France pour avertir des dangers du virus et mettre en place le confinement, l’effet inverse s’est produit : longues files d’attente devant les supermarchés ; épuisement de stocks de certaines denrées alimentaires, etc.
En somme, nous avons tous tendance à adopter le même comportement que notre voisin car en l’absence d’opinion personnelle, de connaissance préalable ou d’un terrain favorable, nous aurons presque toujours tendance à adopter les habitudes d’usages. Mais ici s’ajoute une donnée fondamentale : la peur.
La peur peut être au mieux aussi contagieuse que le virus lui-même. Le fait d’adopter les mêmes gestes que les autres participe ainsi à notre protection et à plus grande échelle, à la préservation de l’espèce. Imaginez : vous faites partie d’un groupe de gazelle dans la savane et soudainement l’une d’entre vous se met à courir. Instinctivement, vous aurez compris que son comportement est probablement dû à la présence d’un prédateur. Il y a donc danger. Si vous attendez de voir le prédateur par vous-même vous aurez perdu du temps, donc vous aurez mis votre vie en danger. Transposé à la vie en société, observer la dame devant vous avec 20 paquets de pâtes va vous rappeler que vous devriez sûrement en faire de même si vous vous voulez survivre.
Le groupe constitue donc un espace de protection dans lequel chacun agit par mimétisme. Il peut cependant se révéler fragile, notamment en situation de crise. Face au danger, le stress et l’anxiété peuvent pousser certains à adopter des comportements extrêmes (vider le rayon de papier toilette) ou au contraire avoir tendance à minimiser les conséquences (sortir de chez soi au risque de contaminer d’autres personnes).
Les pouvoirs du cerveau sont étonnants ! Heureusement, dans bien des cas, prendre conscience de nos propres automatismes permet de lutter contre des schémas de pensée qui se sont installés bien malgré nous.
N’oublions pas également que nous avons souvent tendance à retenir plus facilement les informations négatives que les positives. Or, il est important aussi de rappeler les élans de générosité, d’entraide et d’initiatives spontanées partout à travers le monde. L’université de Berkeley en Californie a récemment publié un article scientifique qui démontre qu’en période de crise, la protection des autres est un grand facteur de motivation pour adopter le bon comportement. S’il est vrai qu’une minorité de personne continue de sortir sans raison apparente, ce n’est pourtant pas la réponse la plus courante. Mais nous avons tendance à retenir cette information comme vraie et à la généraliser car elle est couramment citée dans les médias. En réalité, selon cet article, confrontés à un ennemi commun comme une épidémie, nous sommes plus susceptibles de nous unir pour le bien de tous. De quoi nous redonner un peu d’optimisme !
Sources
Psychomédia : Adaptation à la crise du coronavirus : des biais cognitifs empêchant de réaliser la gravité de la situation
Greater Good Magazine : How to Keep the Greater Good in Mind During the Coronavirus Outbreak
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